Depuis le 4 mars, et jusqu’au 24 mars, se tient une Consultation du public sur la demande d’introduction dans le milieu naturel de Grand Tétras dans le département des Vosges par le Parc naturel régional des Ballons des Vosges.

Ci-dessous, l’avis donné par VNE dans le cadre de cette consultation : 

« L’association Vosges Nature Environnement (VNE), après avoir pris connaissance de ce projet, ses objectifs et le contexte dans lequel il doit se dérouler, émet les observations suivantes.

Sur la forme :

Les associations Oiseaux Nature et Vosges Nature Environnement, pourtant agréées par le préfet des Vosges, n’ont pas été sollicitées pour avis dans le cadre du comité de pilotage de renforcement des populations, mis en place par le PNRBV suite aux avis défavorables du CSRPN et du CNPN (Conseils Scientifiques Régional et National).
Le PNRBV (Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges) a réalisé dans ce cadre un dossier complémentaire afin d’apporter les éléments de réponses et les compléments qu’appelaient les avis du CNPN et du CSRPN. Il n’est pas recevable pour nous que ces deux instances n’aient pas été sollicitées à nouveau pour un 2ème avis suite à la modification du dossier initial.

Sur le fond :

La pertinence de ce projet est à examiner au regard du contexte qui a amené le déclin et la quasi disparition de l’espèce dans le massif vosgien et aux exigences de densité de population pour espérer sa survie durable.
D’après l’Union International de Conservation de la Nature (UICN) la viabilité d’une population de tétras est de 500 individus, 250 mâles et 250 femelles. D’après I. STORCH, scientifique allemande reconnue experte auprès de l’UICN, 50 000 ha sont nécessaires au maintien d’une population. Selon une étude sur l’habitat en 2010 dans le massif vosgien la superficie favorable ne serait que de 10 000 ha.
Le projet présenté qui s’apparente à une réintroduction, « envisagerait raisonnablement la capture de 10 oiseaux en 2 campagnes de capture annuelles de chacune une semaine, l’une au printemps et la seconde en automne ». Ces 10 oiseaux, tous mâles apparemment, seraient répartis chaque année pendant 5 ans sur deux sites, alors qu’un des deux n’a même plus de femelles…
Comment dès lors espérer raisonnablement une augmentation de la population permettant d’espérer sa survie à terme….
Le plus préoccupant selon nous est le contexte qui a amené la quasi extinction de l’espèce dans le massif vosgien, contexte qui en toute logique aurait du être réapproprié, avant toute introduction d’individus prélevés ailleurs, ce qui n’est malheureusement pas le cas.
« Les pressions qui ont conduit au déclin de l’espèce dans les Vosges sont connues, bien qu’il ne soit pas possible actuellement d’évaluer leurs effets respectifs et synergiques : changements climatiques, habitats favorables très insuffisants, fragmentation et rupture des corridors, dérangements humains, dérive génétique, pression de prédation et collisions avec des infrastructures type ligne HT, câbles remontés de ski et clôtures. Il s’agit avant tout de pressions anthropiques directes ou indirectes qui ont pour conséquence de provoquer un déséquilibre dans l’écosystème et une déstructuration de la chaine trophique et de divers processus de régulation naturels. » Aux pressions anthropiques mentionnées par le CSRPN, il faut ajouter les effets du changement climatique qui représentent un handicap de plus au maintien des populations de grands tétras dans les Vosges.

Dans le dossier complémentaire il est invoqué la plasticité de l’espèce face au changement climatique.

Or, le climat observé dans les Vosges aujourd’hui est très éloigné des conditions optimales pour le Grand Tétras. Ces dernières années, le massif vosgien a connu des printemps précoces, détruisant les nichées devenues précoces, par le retour de gelées tardives et (ou) de fortes et longues précipitations ; les couvées de remplacement subissant souvent le même sort.
Le Grand Tétras est une espèce proie et l’importance d’un manteau neigeux assez long dans le temps est vital pour sa survie. Aujourd’hui, la diminution du temps d’enneigement dans le massif vosgien est un fait incontestable et ce dernier hiver confirme cette tendance.
Avec les épisodes de sécheresse, qui deviennent hélas récurrents, la maturation de la myrtille peut être stoppée et la ressource alimentaire du Grand Tétras fortement impactée… Le Grand Tétras n’est pas adapté aux températures élevées de nos étés actuels.
A l’inverse des populations vivant dans les Alpes, celle des Vosges ne peut gagner en altitude pour s’adapter à ce changement des conditions de vie.
Par ailleurs, les tétras norvégiens vivent d’un milieu de vie différent, dans une taïga et vieilles pinèdes très claires, avec bouleaux et des pins, sans sapin. Comment vont-ils s’adapter aux milieux vosgiens clairement forestiers et plus fermés avec une explosion de la régénération du hêtre qui ferme les sous-bois ?
En ne prenant en compte que ce seul paramètre climatique, il apparait que le grand Tétras a très peu de chance de s’adapter à ce nouveau contexte, et que l’opération est vouée à l’échec..

Concernant la qualité des habitats :

En mars 2019, le Conseil Scientifique du PNR des Ballons des Vosges dans une note de cadrage sur l’« Avenir du Grand Tétras dans le massif des Vosges », Le déclin continu des populations vosgiennes de Grand Tétras nous indique clairement que les conditions d’habitats ne sont toujours pas favorables malgré les efforts consentis depuis plusieurs dizaines d’années »
L’avis du CSRPN (p.5) caractérise ainsi l’absence d’évolution positive du contexte de pressions anthropiques …: « Ce constat d’extinction démontre sans ambiguïté que les pressions s’exerçant sur l’espèce et ses habitats dans le massif vosgien n’ont pas été levées ni même freinées, bien au contraire et que les mesures engagées n’ont pas été suffisamment ambitieuses pour inverser la tendance. »
Et dénonce :« l’absence de prise en compte du premier principe fondamental édicté par l’UICN pour décider quand un projet de translocation est une solution acceptable » Ce qui nécessite de « s’assurer de l’identification et de l’élimination correctes de la (ou des) menaces responsables de toute extinction, ou de leur atténuation suffisante ».
L’étude de faisabilité présentée et sur laquelle repose le choix de lancer cette opération ne répond pas à cette nécessité, et les mesures d’accompagnement prévue ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux.

Le CSRPN évoque à juste titre : « la frilosité des mesures d’accompagnement et le manque de certitude quant aux quelques moyens qui sont proposés »

plus que des « mesures d’accompagnement », il faudrait avoir préalablement éliminé ou suffisamment réduit les menaces responsables de son déclin pour espérer redonner au Grand Tétras un habitat favorable. Le projet annonce seulement quelques mesures d’accompagnement qui ne sont pas à la hauteur de ce qui serait nécessaire pour qu’une telle opération de renforcement puisse éventuellement avoir quelque succès. Par exemple, la poursuite des travaux d’amélioration des habitats est une bonne mesure, mais qui ne concerne hélas que des superficies beaucoup trop réduites (75ha/an).

La question de la surdensité d’ongulés, au rang desquels la population de sanglier qui ne cesse de s’accroître, est également évoquée pour ses effets directs et indirects sur l’écosystème.

Dans le nouveau SDGC validé par l’État, l’ interdiction d’agrainage a été levée et réduite aux seules forêts en ZPS. Malheureusement la ZPS « massif des vosgien » est constituée d’une multitude d’entités forestières déconnectées et il sera désormais possible d’obtenir des dérogations pour l’agrainage de dissuasion en périphérie immédiate de la ZPS dans un nombre très important de communes. Même s’il est prévu comme mesure d’accompagnement d’interdire les contrats d’agrainage sur les quelques communes vosgiennes concernées par les 2 sites de lâchers, cela ne représente pas grand-chose à l’échelle de l’aire récente du Tétras.
Nous partageons cette analyse, qui montre l’insuffisance et l’inadéquation des mesures envisagées. Au-delà de l’interdiction l’agrainage dans tout le massif vosgien, il aurait fallu initier une véritable politique de soutien aux retours des grands prédateurs (loup et lynx) comme alliés objectifs du rééquilibre des écosystème et de la régulation des populations de cervidés et sangliers.

Concernant le coût de l’opération :

Il est regrettable que seule soit proposée une évaluation des coûts relatifs aux deux premières années alors qu’il est prévu de développer le projet à minima sur 5 voire 10 ans pour en attendre un effet positif. Quoiqu’il en soit cela se chiffrerait à plusieurs millions d’euros et c’est inacceptable au regard d’un échec quasi assuré.
L’exemple de la réintroduction de l’espèce dans les Cévennes illustre bien cet échec patent. Plus de 600 oiseaux d’élevage ont été lâché pendant 25 ans, accompagnés d’un piégeage des prédateurs pour arriver à ce jour à la présence supposée de quelques individus erratiques. Ce n’est pas soutenable, ni acceptable éthiquement.
Ce projet de réintroduction très coûteux est par ailleurs voué à l’échec car les tétras sauvages venant de milieux de vie complètement différents, seront relâchés dans un milieu dégradé et hostile, celui-là même qui a conduit à la disparition des tétras vosgiens.

En conclusion :

VNE émet un avis très défavorable au projet d’introduction dans le milieu naturel de Grand Tétras dans le département des Vosges pour les 5 prochaines années, pour les raisons suivantes.

  • Une prise en compte insuffisante des facteurs à l’origine de l’effondrement des populations de Grand Tétras dans les Vosges.

  • Une démarche qui nous semble ne pas permettre d’éviter l’extinction de la population car les conditions indispensables au rétablissement d’une population viable de Grand Tétras, au regard de l’approche scientifique, ne sont pas réunies.

  • Les quelques mesures d’accompagnement envisagées sont loin d’être à la hauteur des besoins qu’une telle opération nécessiterait pour espérer des résultats positifs.

  • Un coût élevé, sans aucune garantie de réussite, bien au contraire pour une opération difficilement justifiable. L’argent public mobilisé devrait être plutôt consacré à la poursuite et l’amplification des actions déjà en cours en vue de rétablir le bon fonctionnement des écosystèmes, à l’échelle du massif vosgien et de tout mettre en œuvre pour éviter que la situation ne se dégrade un peu plus.

VNE comme le CSRPN (Conseil scientifique régional du patrimoine naturel) s’inquiètent « à propos de l’augmentation du tourisme et des activités de plein air au sein des espaces naturels vosgiens dans un contexte déjà très contraint par les changements climatiques et leurs effets directs et indirects sur la biodiversité dans toutes ses déclinaisons.

VNE préconise la libre évolution des forêts actuellement en réserves biologiques initialement dirigées vers le maintien du Tétras, en requalifiant les RBD (Réserve Biologique Domaniale) Grand Tétras, « sans Grand Tétras », en RBI (Réserve Biologique Intégrale) ou à minima en Réserve Biologique Mixte.

Cette proposition répondrait pleinement aux enjeux d’amélioration de la biodiversité globale d’une partie des écosystèmes forestiers vosgiens par une mesure de protection forte. »

 

Vous retrouverez cet avis retranscrit sur le site de VosgesTV ICI, ainsi que sur Epinal Infos ICI.

Autre article du 24/03/2024 sur Vosges Matin avec l’avis de VNE:

“Le grand tétras n’a plus sa place dans les Vosges” : l’avis tranché de Vincent Munier sur le programme de réintroduction de l’animal

Retrouvez la tribune « La bêtise des Vosges » de Vincent Munier sur sa page facebook ICI.

Si vous souhaitez des informations sur le sujet, retrouvez ICI un article de France Info écrit par Emmanuel BOUARD et regroupant les avis de plusieurs scientifiques.

Vous aussi pouvez donner votre avis jusqu’au 24 mars en participant à la  Consultation Publique !

 

VNE 88

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