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À Vittel, il n’y a plus assez d’eau pour la mettre en bouteilles
Par Lorène Lavocat
17 février 2023 à 09h42 Mis à jour le 18 février 2023 à 08h49
Durée de lecture : 4 minutes
Le collectif Eau 88 est favorable à l’arrêt de l’embouteillage de l’eau par des minéraliers. – © Mathieu Génon/Reporterre
Une enquête publique est ouverte à Vittel (Vosges) sur l’avenir de la nappe souterraine surexploitée, notamment par Nestlé. Pour un collectif local, il s’agit d’une « démarche écocidaire ».
Nestlé continue de provoquer des remous à Vittel. La multinationale, qui exploite les nappes de la cité thermale depuis des années, pompe beaucoup trop d’eau. Et les sous-sols se vident peu à peu. « Pour garantir la préservation de ce patrimoine commun inestimable » qu’est l’or bleu, un schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) doit être voté pour cadrer les usages de l’eau dans la zone. En amont de son adoption, une enquête publique est ouverte, jusqu’au 21 février. Mais les solutions envisagées ne satisfont pas (du tout) le collectif citoyen Eau 88, qui parle d’une « démarche écocidaire ».
« Le Sage ne résout pas les problèmes, il ne fait que les déplacer », explique Bernard Schmitt, membre du collectif. Pour bien comprendre, un petit point de géologie locale s’impose. Les sous-sols de Vittel sont gorgés d’eau, répartie dans plusieurs « poches », appelés des gîtes. Les poches les plus superficielles, très riches en minéraux, sont exploitées par Nestlé Waters et commercialisées sous les marques Hépar, Contrex et Vittel Grande source.
- L’usine d’embouteillage de Vittel-Contrexéville de Nestlé Waters. © Mathieu Génon / Reporterre
En dessous, la nappe des grès du Trias inférieur (GTI) constitue un réservoir « captif », isolé : l’eau y est emprisonnée entre des couches géologiques relativement imperméables. C’est justement cette ressource très pure et peu renouvelable qui a été sursollicitée pendant des années. « On estime qu’il manque au moins 50 millions de mètres cubes dans cette nappe, précise M. Schmitt. Autrement dit, si on arrêtait tout prélèvement, il faudrait cinquante ans pour la remettre en état. » Énorme défi : le Sage en débat vise ainsi à stabiliser le déficit de cet aquifère profond « d’ici à 2027 ».
« Un autre avenir pour ce territoire »
Que dit-il précisément ? Il constate « la nécessité de réduire les prélèvements, d’en assurer une répartition proportionnée, de faire appel à des solutions de substitution et de promouvoir les économies d’eau ». Tout le monde doit donc se serrer la ceinture, et en premier lieu Nestlé Waters. La firme a annoncé diminuer ses prélèvements à 200 000 m³ par an, contre plus de 620 000 m³ aujourd’hui.
Un geste philanthropique ? « L’accaparement de l’eau de Vittel par Nestlé a fait grand bruit, encore plus depuis qu’on a découvert des décharges plastiques dans les environs », rappelle Bernard Schmitt. Résultat, l’eau de Vittel se vendait mal à l’étranger, notamment outre-Rhin. Contrainte de renoncer à ses marchés allemands et autrichiens, la multinationale a donc eu beau jeu, selon les opposants, de présenter ses moindres prélèvements comme un acte écologique fort. Contactée par Reporterre, la société ne s’est pas encore positionnée, mais assure qu’elle « pourrait participer » à l’enquête publique.
- Les habitants dénoncent depuis longtemps un accaparement de l’eau. Ici, la D165, près de Valfroicourt (Vosges). © Mathieu Génon/Reporterre
Autre piste, pour diminuer les ponctions dans l’aquifère profond : pomper ailleurs. À partir de 2024, la ville de Vittel se fournira dans une des poches plus en surface, économisant ainsi 300 000 m³ par an dans la nappe GTI. « Tout le monde se redéploie sur ces nappes plus superficielles de façon assez irresponsable, dénonce Bernard Schmitt. On va augmenter sensiblement les prélèvements sur ces gîtes sans avoir fait les études, avec un risque de sursollicitation. » En clair, on déshabille Pierre pour rhabiller Paul.
Car dans le même temps, la préfecture a de nouveau autorisé Nestlé Waters à prélever — et pour dix ans — 2,6 millions de mètres cubes dans ces nappes superficielles. « En période de sécheresse, on voit déjà des assecs [1] sur les ruisseaux, qui sont censés être alimentés par ces nappes, alors qu’est-ce que ça va donner maintenant ? » s’interroge M. Schmitt.
Pour le collectif Eau 88, il n’y a qu’une solution, à terme : « On est favorable à l’arrêt de l’embouteillage de l’eau par des minéraliers, Nestlé ou d’autres », pose M. Schmitt. L’entreprise emploie aujourd’hui près de 600 personnes, et contrôle directement ou indirectement 80 % de la surface agricole utile autour de Vittel. « Ça ne peut pas se faire du jour au lendemain, mais on a bien reconverti la sidérurgie lorraine, on devrait pouvoir trouver un autre avenir pour ce territoire ! »
Notes
[1] L’assec est l’état d’une rivière ou d’un étang qui se retrouve sans eau.
Voir aussi l’article:
Du 9 mai 2019
Voir nos articles sur l’eau ICI.