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Vittel : Avec 9 forages illégaux, Nestlé a pompé plus de 10 milliards de litres d’eau depuis 2007

By 12 juillet 2020 No Comments
Cette infraction est un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Plutôt que de demander un dossier pour régulariser la situation sans aucune sanction, le Préfet aurait théoriquement dû saisir le procureur. C’est pourquoi les associations ont décidé de porter plainte, dans le but que le procureur ouvre une information judiciaire pour enquêter et faire lumière complète sur le dossier.
 
Crédit photo : Johnny McClung

 
 
30 juin 2020 – Laurie Debove

Revirement dans le conflit qui oppose Nestlé Waters aux habitants de Vittel et Contrexéville ! La nappe phréatique inférieure de ces communes au nom célèbre subit depuis plusieurs années un déficit chronique. Ces derniers accusent Nestlé Waters d’être à l’origine de cette surexploitation de la ressource. Opposés à la privatisation de l’eau, de nouveaux éléments sont venus étayer leur dossier : la multinationale exploite 9 forages sans autorisation depuis 2007. Au total, elle aurait illégalement pompé plus de 10 milliards de litres d’eau. France Nature Environnement, Lorraine Nature Environnement et les associations du collectif eau88 (ASVPP, UFC Que Choisir 88 et Vosges Nature Environnement) ont déposé une plainte.

Un combat de longue haleine

Depuis plusieurs années, les associations environnementales et des habitants s’opposent à l’accaparement et à la commercialisation des nappes phréatiques par Nestlé Waters. En cause : la raréfaction de l’eau dans la nappe phréatique des Grès du Trias Inférieur qui menace l’approvisionnement en eau potable de la population, alors que l’industriel continue de pomper pour commercialiser son eau en bouteille.

En octobre 2019, le comité de bassin Rhin-Meuse a ainsi rejeté la proposition de créer un pipeline pour acheminer l’eau de plus loin et a imposé la priorité de l’usage de la nappe aux habitants. Pour y parvenir, le comité préconise de prendre en compte les deux nappes phréatiques (supérieure et inférieure) dans la répartition des volumes attribués à chacun des usagers avec l’objectif de rétablir l’équilibre de la nappe d’ici 2027.

« Si nous sommes ravis de la décision du comité de bassin, la date est un problème : 2027, c’est beaucoup trop tard. A la base, l’objectif d’équilibre de la nappe devait être atteint en 2015, puis en 2021. La Commission Locale de l’Eau veut maintenant reporter l’échéance à 2027, contre l’esprit de la délibération qui voulait un échéancier mis en place rapidement. 2027 devait être la date de la reconstitution de la nappe pour faire remonter le niveau, pas celle de l’équilibre ! Tout recommence car nous ne pouvons pas accepter cette stratégie de gain de temps. » explique ainsi Jean-François FLECK, Président de Vosges Nature Environnement, pour La Relève et La Peste

Si l’arrivée du coronavirus a mis de nombreux dossiers en attente, les associations environnementales en ont quand même profité pour analyser la situation juridique des forages. Face au refus du Préfet des Vosges de leur transmettre le dossier de Nestlé pour une demande d’autorisation de forages, elles ont dû faire appel à la Commission d’accès aux documents administratifs. C’est là qu’elles ont découvert la demande de régularisation de l’industriel sur 9 forages… déjà actifs depuis des dizaines d’années.

Mobilisation à Vittel contre Nestlé à l’occasion de la journée mondiale de l’eau – Crédit : SumofUs

Une demande de régulation a posteriori

En 2016, le préfet avait alerté Nestlé Waters sur l’absence d’autorisations de certains forages. En février 2019, la compagnie a donc déposé une demande pour régulariser sa situation et obtenir une autorisation de prélèvement. Cette autorisation, normalement obligatoire, est délivrée par la Préfecture au titre du code de l’environnement. Elle permet notamment de s’assurer que le prélèvement d’eau ne nuise pas au bon état écologique de la nappe phréatique impactée.

En l’absence d’autorisation en bonne et due forme, les associations ont calculé dans une première estimation qu’au total, Nestlé Waters aurait illégalement pompé plus de 10 milliards de litres d’eau depuis 2007.

Source

Cette infraction est un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Plutôt que de demander un dossier pour régulariser la situation sans aucune sanction, le Préfet aurait théoriquement dû saisir le procureur. C’est pourquoi les associations ont décidé de porter plainte, dans le but que le procureur ouvre une information judiciaire pour enquêter et faire lumière complète sur le dossier.

Dans l’émission de France3 « Pièces à Convictions : Main basse sur nos ressources naturelles », le directeur de Nestlé à Vittel a reconnu des manques au niveau de la situation administrative, un aveu crucial pour les associations écologistes engagées dans le bras-de-fer avec l’industriel.

Crédit : mrjn Photography

L’eau, intérêt privé ou bien commun : un enjeu sociétal

En pleine crise climatique et avec des sécheresses de plus en plus importantes sur le territoire français, ce conflit devient le symbole d’un débat de société crucial sur la gestion d’un bien commun aussi vital que l’eau.

Un premier protocole d’engagement volontaire, que La Relève et La Peste a consulté, veut engager les services de l’Etat et les acteurs privés, en particulier Nestlé Waters mais aussi la fromagerie L’Ermitage, dans une démarche de restauration quantitative des aquifères du secteur de Vittel. Là où le bât blesse, c’est que Nestlé est invité à réduire ses prélèvements dans une nappe, pour mieux les puiser dans l’autre.

« Ce qui nous met en colère, c’est qu’en parallèle des forages de la nappe supérieure, Nestlé Waters a obtenu deux forages d’un total de 300 000 m3 acquis par arrêté préfectoral et a fait une nouvelle demande pour un forage de 100 000 m3 déjà construit et branché ! Ils n’attendent plus que le feu vert ! Il s’agit quand même de 400 000 m3 encore attribués à Nestlé pour son eau industrielle ! C’est quand même extraordinaire alors que ça va priver les citoyens de leur eau ! » s’indigne Jean-François FLECK, Président de Vosges Nature Environnement, pour La Relève et La Peste

Ironie du sort, les autres sources où puise Nestlé sont considérées comme étant trop minéralisées pour répondre aux critères d’eau potable pour les habitants, mais peuvent quand même être vendues sous forme d’eau en bouteille (Contrex et Hépar).

Crédit : Johnny McClung

Et le cas de Vittel n’est pas isolé. Une situation similaire se joue dans le Puy-de-Dôme à Volvic, où le collectif Eau Bien Commun 63 demande une répartition équitable de l’eau, respectueuse de l’intérêt général et de la préservation de la biodiversité. Et il y a urgence : dès cet été 2020, des pénuries d’eau sont hautement probables sur le département, selon le Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire.

Dans le viseur du collectif Eau Bien Commun 63, un autre industriel : Danone qui prélève chaque année jusqu’à 2,7 millions de m3 d’eau, avec une augmentation des prélèvements durant les mois d’été, y compris au cours des périodes de restriction. Face à la polémique, « les collectivités ont pris de l’avance et ont déjà fait construire une connexion pour aller chercher l’eau dans l’Allier et la distribuer aux habitants » précise Jean-François Fleck, à l’image de celui que Nestlé Waters voulait faire à Vittel.

« Il y a aussi eu une tentative avortée à Divonne les Bains : on est loin d’être les seuls concernés par cette appropriation de l’eau à des fins économiques et financières ! Le chantage économique autour de la création d’emplois ne doit plus durer. L’eau est un bien commun dont la gestion devrait être choisie démocratiquement : on est en train de mettre de l’eau en bouteille dans des régions fragiles pour la vendre dans des pays qui n’en ont pas besoin ! » proteste Jean-François FLECK, Président de Vosges Nature Environnement, pour La Relève et La Peste

La décision d’octobre de l’Agence de l’eau et du Comité de Bassin témoigne d’une certaine prise de conscience sur ces enjeux de justice environnementale et sociale. Les services de l’Etat et les industriels préparent également un contrat de territoire censé permettre la rétrocession de certains forages de la société Nestlé Waters aux habitants, aucune condition n’est pour l’instant prédéterminée. Ce contrat devrait être établi au plus tard le 31 décembre de cette année, pour une signature mi-2021.

D’ici-là, les associations espèrent bien obtenir des réponses à leurs questions sur les forages illégaux : En existe-t-il d’autres ? Quelle est la quantité totale d’eau prélevée illégalement ? L’enquête préliminaire devrait permettre de répondre à ces questions.

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