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Rapport du GIEC

By 19 août 2019 No Comments

Surexploitation des terres et climat: le Giec souligne un cercle vicieux

8 AOÛT 2019 PAR CHRISTOPHE GUEUGNEAU

Les scientifiques ont rendu le jeudi 8 août un rapport sur l’usage des terres et la crise climatique. L’agriculture et l’élevage dégradent les sols et comptent pour un tiers des émissions de gaz à effet de serre. Ces émissions augmentent la température moyenne qui à son tour dégrade les sols. Il est urgent d’agir, toujours selon le Giec, notamment sur nos habitudes alimentaires.

Le mois de juillet a été le plus chaud jamais enregistré. 2018 figurait déjà parmi les années les plus chaudes. Une étude vient de montrer que près d’un quart de l’humanité était menacé par une pénurie d’eau. Le dernier rapport annuel de l’ONU, en juillet, établissait que pour la troisième année consécutive, la faim dans le monde avait progressé, touchant plus de 820 millions de personnes.

C’est dans ce contexte anxiogène que les 196 « parties » (195 États plus l’Union européenne) ont adopté, jeudi 8 août, le rapport spécial sur le climat et les terres du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Ce rapport spécial (à lire en intégralité ici) porte plus précisément « sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des terres, la gestion durable des sols, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres »

Pas moins de 107 auteurs de 52 pays – plus de la moitié venant de pays en voie de développement, a souligné le Giec – ont examiné plus de 7 000 études scientifiques pour le rédiger. Un « résumé à l’attention des décideurs », négocié pied à pied pendant quelques jours à Genève, a été publié dans la foulée

Ce rapport fait suite au « Rapport 1.5 » publié en octobre dernier, qui faisait un état des lieux précis à la fois des efforts à faire pour contenir la hausse de la température globale sous 1,5 °C d’ici à 2050 et des risques encourus dans un monde plus chaud de 2 °C. Un autre rapport spécial, portant cette fois sur les océans, est prévu dans quelques mois.

Dans le résumé rendu public jeudi, les scientifiques du Giec documentent un cercle vicieux : plus les terres sont dégradées, moins elles participent à la lutte contre le dérèglement climatique, et plus la crise climatique s’exacerbe, et plus les terres sont dégradées. « Les changements climatiques peuvent exacerber les processus de dégradation des terres, notamment par l’augmentation de l’intensité des précipitations, les inondations, la fréquence et la gravité des sécheresses, le stress thermique, les périodes de sécheresse, le vent, la montée du niveau de la mer et l’action des vagues, le dégel du permafrost et la modulation des résultats par la gestion des terres », écrivent les scientifiques. 

« La stabilité de l’approvisionnement alimentaire devrait diminuer à mesure que l’ampleur et la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes qui perturbent les chaînes alimentaires augmentent. L’augmentation des niveaux de CO2 dans l’atmosphère peut également réduire la qualité nutritionnelle des cultures », ajoute le Giec.

Pour les experts, il est ainsi urgent d’agir, tant dans la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre que dans la restauration des sols. « Retarder les mesures d’atténuation du changement climatique et d’adaptation dans tous les secteurs aurait des effets de plus en plus négatifs sur les terres et réduirait les perspectives de développement durable », écrivent les scientifiques. 

Ceux-ci estiment par ailleurs qu’il est urgent de suivre les scénarios réduisant rapidement les émissions, car « le report des mesures prévues dans les scénarios d’émissions élevées pourrait avoir des répercussions irréversibles sur certains écosystèmes, ce qui, à plus long terme, pourrait entraîner d’importantes émissions supplémentaires de GES provenant des écosystèmes et accélérer le réchauffement planétaire »

Entre 2007 et 2016, les activités agricoles, forestières et autres activités liées à l’utilisation des terres ont représenté environ 13 % des émissions mondiales de CO2, 44 % des émissions de méthane (CH4) et 82 % des émissions de protoxyde d’azote (N2O) provenant des activités humaines, soit 23 % des émissions nettes totales de GES dues à l’homme. Ces deux derniers gaz sont respectivement 24 et 265 fois plus polluants que le dioxyde de carbone.

70 % des terres émergées et non recouvertes par les glaces sont utilisées directement par les hommes, selon le rapport. Lors de la conférence de presse de lancement du rapport, Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe I du Giec, a rappelé que le quart de ces terres était aujourd’hui dégradé. Par ailleurs, au niveau mondial, l’agriculture utilise 70 % de l’eau douce disponible. 

Le Giec insiste sur le fait que la température moyenne sur les surfaces émergées augmente plus rapidement que la température moyenne mondiale lorsque l’on prend les océans en compte. Surtout, il montre que les terres se dégradent cent fois plus vite qu’elles ne se réparent dans les zones labourées, et dix à vingt fois plus vite dans les champs non labourés.

Réagissant au rapport, Cécile Claveirole, pilote du réseau agriculture à France Nature Environnement, estime que « l’artificialisation des sols naturels, forestiers ou agricoles, impacte très fortement notre sécurité alimentaire, ainsi que la capacité des sols à retenir l’eau, à réguler l’humidité atmosphérique, à réduire les îlots de chaleur, à stocker du carbone, sans oublier que les sols recèlent une très grande biodiversité ».

Selon le Giec, l’Asie et l’Afrique devraient compter le plus grand nombre de personnes vulnérables à une désertification accrue. L’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, la Méditerranée, l’Afrique australe et l’Asie centrale pourraient être de plus en plus touchées par les feux de forêt. Les régions tropicales et subtropicales devraient être les plus vulnérables à la baisse des rendements agricoles.

De larges morceaux du territoire en Inde sont menacés de désertification. © Reuters

Pierre-Marie Aubert, coordinateur de l’initiative Agriculture européenne de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), estime dans son analyse du rapport que les zones arides, qui occupent 46 % des terres émergées et abritent trois milliards de personnes, sont celles « dans lesquelles les effets attendus du changement climatique sont les plus négatifs, notamment en termes de rendements agricoles et d’occurrence des événements extrêmes ».

Mais les grands centres urbains ne seront pas épargnés. Le résumé à l’attention des décideurs note ainsi que « le réchauffement de la planète et l’urbanisation peuvent renforcer le réchauffement des villes et de leur environnement (effet d’îlot thermique), en particulier lors d’événements liés à la chaleur, y compris les vagues de chaleur. Les températures nocturnes sont plus affectées par cet effet que les températures diurnes. L’urbanisation accrue peut également intensifier les épisodes de précipitations extrêmes sur la ville ou sous le vent des zones urbaines ».

Agroécologie et régimes alimentaires

Le rapport ne se contente pas de dresser un tableau, il propose également des orientations pour éviter le pire. Il s’agirait en premier lieu de changer radicalement nos modes de production de nourriture. Pour Laurence Tubiana, directrice générale de la Fondation européenne pour le climat et coprésidente de la Convention citoyenne pour la transition écologique, « ce rapport du Giec doit permettre à nos décideurs politiques de comprendre l’urgence à réformer notre système de production agricole pour assurer la sécurité alimentaire des années à venir ».

« Les États doivent investir davantage dans l’agriculture familiale, en particulier en faveur des femmes agricultrices, qui souffrent le plus de la faim et sont les grandes laissées-pour-compte des politiques agricoles », réagit pour sa part Nicolas Vercken, de l’ONG Oxfam. 

Sarah Lickel, chargée de plaidoyer droit à l’alimentation au Secours catholique-Caritas France, estime que le rapport définit « l’usage soutenable des terres comme nécessitant de transformer notre agriculture pour aller vers l’agroécologie, l’agroforesterie, l’agriculture biologique et les solutions fondées sur la nature (protection des écosystèmes forestiers primaires) »

« Les pratiques agroécologiques minimisent l’usage d’intrants externes et restaurent la santé des sols en misant sur les complémentarités agro-sylvo-pastorales à l’échelle de la parcelle cultivée : elles remplacent l’usage des pesticides par le contrôle biologique et substituent des légumineuses aux engrais azotés ; elles recourent à l’agroforesterie afin de minimiser le recours à l’irrigation en renforçant la capacité des sols à absorber l’eau de pluie. Elles sont la science agronomique de ce siècle », insiste pour sa part Olivier De Schutter, coprésident du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food).

En clair, il faudrait mettre fin le plus rapidement possible à l’agrobusiness au niveau mondial pour espérer agir à temps. D’autant que le Giec montre que certaines solutions mettront plusieurs dizaines d’années avant de produire leurs effets.

Il s’agirait également de réduire le gaspillage alimentaire, alors que 25 % des produits alimentaires fabriqués sont perdus. Il faudrait ensuite changer notre régime alimentaire, en particulier en mangeant moins de viande. 

Certes, James Skea, coprésident du groupe III du GIEC, a affirmé lors de la conférence de presse jeudi que « le Giec ne recommande pas les régimes alimentaires des gens »« Ce que nous avons souligné sur la base des preuves scientifiques, c’est qu’il y a certains régimes alimentaires qui ont une empreinte carbone plus faible », a-t-il ajouté. « Il y a des solutions entre les mains des agriculteurs. Mais il y a aussi des solutions entre les mains de chacun d’entre nous, quand nous achetons de la nourriture, et ne gaspillons pas la nourriture », a déclaré Valérie Masson-Delmotte jeudi matin.

Des militants de Greenpeace à Genève. © Reuters

Le Giec estime dans le résumé à l’attention des dirigeants que « les régimes alimentaires équilibrés, qui comprennent des aliments d’origine végétale, comme ceux à base de céréales secondaires, de légumineuses, de fruits et légumes, de noix et de graines, et des aliments d’origine animale produits dans des systèmes résilients, durables et à faibles émissions de GES, offrent d’importantes possibilités d’adaptation et d’atténuation tout en produisant d’importants avantages secondaires en termes de santé humaine ».

Mais un autre cercle vicieux menace : si la course à la baisse de nos émissions pour préserver notamment notre sécurité alimentaire vient à passer par le développement à grande échelle de la bioénergie, cela aurait un impact sur l’utilisation des terres, exacerbant les conflits d’usage. 

« S’il est appliqué à l’échelle nécessaire pour éliminer le CO2 de l’atmosphère, le boisement, le reboisement et l’utilisation des terres pour fournir des matières premières pour la bioénergie avec ou sans capture et stockage du carbone, ou pour le biochar [sorte d’engrais obtenu par pyrolyse de biomasse – ndlr], pourraient considérablement accroître la demande de conversion des terres », écrivent les scientifiques.

Plus loin, ils soulignent : « L’utilisation de résidus et de déchets organiques comme matière première pour la bioénergie peut atténuer les pressions de changement d’utilisation des terres associées au déploiement de la bioénergie, mais les résidus sont limités et l’élimination des résidus qui seraient autrement laissés sur le sol pourrait entraîner leur dégradation. »

Pierre-Marie Aubert, de l’IDDRI, rappelle dans son analyse du rapport que trois des quatre scénarios « archétypaux » proposés par le Giec dans son précédent rapport spécial reposaient sur un développement poussé des bioénergies, sur de la reforestation à grande échelle, ainsi que sur des projets de « bioenergy carbon capture and storage »(BECCS) – nom de code pour désigner des projets technologiques actuellement non matures consistant à boiser de vastes espaces avec des essences forestières à croissance rapide, afin d’en exploiter la biomasse, de la brûler pour produire de l’énergie et de capter le CO2 émis au moment de la combustion pour le cristalliser sous forme stable. Mais pour cet expert, « le deuxième enseignement majeur du rapport est d’alerter sur le fait que faire reposer la décarbonation de l’économie sur ces changements d’usage des terres à grandes échelles est incompatible avec l’atteinte d’une grande partie des objectifs de développement durable (ODD) tels qu’adoptés à New York en 2015 ».

« L’accent est notamment mis sur la pression sur l’espace qui serait induite par de tels changements d’usages des terres, poursuit-il. Une telle pression aurait des conséquences sociales importantes, en particulier en termes d’accès au foncier, ainsi qu’environnementales, comme par exemple les risques liés à une intensification dramatique des pratiques agricoles et donc à un recours accru aux pesticides et fertilisants de synthèse, polluant en retour terres, air et atmosphère. »

Réagissant au rapport, la ministre française de la transition écologique, Élisabeth Borne, a écrit sur Twitter : « Lutte contre l’artificialisation des sols, développement de l’agroécologie, meilleure gestion de l’eau : il n’est pas trop tard pour agir, et c’est ce que nous continuerons à porter avec détermination. Nous aurons besoin de la mobilisation de tous pour changer la donne. »

La ministre oublie un peu vite l’autorisation donnée à Total d’importer de l’huile de palme pour son usine de La Mède, la ratification de l’accord UE-Canada (Ceta), la conclusion des négociations pour un accord UE-Mercosur (dont le Brésil de Jair Bolsonaro), l’autorisation de nouvelles fermes-usines en Bretagne, ou encore l’autorisation de nouvelles recherches minières dans la forêt amazonienne en Guyane. 

Climat: le GIEC peut-il gagner contre l’inertie?

8 OCTOBRE 2018 PAR CHRISTOPHE GUEUGNEAU

Le « rapport spécial 1,5° » du GIEC a été adopté lundi matin par 195 pays. Ce rapport explique qu’il reste une chance minime de maintenir le réchauffement sous les 1,5° si des décisions d’ampleur sont prises dans les toutes prochaines années. Mais l’alignement des planètes politiques rend un tel sursaut hautement improbable. 

C’est une petite « bataille », d’à peine deux heures, mais qui en dit long. Samedi 6 octobre au matin, à Incheon en Corée du Sud, les délégués de 195 pays examinent depuis six jours le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental d’études sur l’évolution du climat (GIEC) en vue de son adoption. Jean-Charles Hourcade, directeur de recherche au CNRS, et un des auteurs du rapport, raconte : « L’Arabie saoudite voulait empêcher que la partie économique du rapport soit claire. Elle ne voulait parler ni des NDC (les contributions à la lutte contre le changement climatique pour chaque pays) ni de l’accord de Paris. L’Égypte non plus, le Salvador idem. Il est 11 heures ce samedi. Les États-Unis sont silencieux mais n’en pensent pas moins. On finit par trouver un compromis au bout de deux heures, en arguant de faits scientifiques. » 

Le compromis est trouvé mais l’Arabie saoudite n’a pas désarmé. Selon trois sources citées par Climate Home News, ce pays aurait déposé « une déclaration de non-responsabilité concernant le rapport, qui ne sera rendue publique que dans plusieurs mois ». Toujours selon cette source, cette déclaration rejetait « une très longue liste de paragraphes dans le rapport sous-jacent ».

Cette péripétie n’a pas empêché l’adoption du rapport et du « résumé à l’attention des décideurs ». Quand le rapport fait des centaines de pages, le résumé n’en fait qu’une trentaine. C’est sur la base de ce document que les 195 chefs d’État et de gouvernement devront prendre leurs décisions.

Conférence de presse du GIEC après l’adoption du rapport spécial, lundi 8 octobre. © GIEC

La commande en avait été faite au GIEC lors de la signature de l’accord de Paris, en 2015. Aux termes de cet accord, les pays se sont entendus pour tenter de contenir la hausse de la température « bien au-dessous de 2 °C et de poursuivre leurs efforts pour limiter cette hausse à 1,5 °C ». Les pays signataires avaient donc demandé une compilation des études scientifiques disponibles afin de voir dans quelle mesure l’objectif de 1,5 °C était atteignable et quelles différences il y avait avec une hausse de 2 °C.

Le tableau dressé par ce « rapport spécial 1,5 » est à la fois sombre et éclairant. On y apprend que même avec une hausse de 1,5 °, la Terre et ses habitants seront affectés. De façon moindre certes qu’avec une hausse de 2 °, mais tout de même. Ainsi, sur 105 000 espèces vivantes étudiées, avec une hausse de 1,5 °, 6 % d’insectes perdraient leurs habitats, 8 % des plantes et 4 % des vertébrés, tandis que cela concernerait 18 % d’insectes, 16 % des plantes et 8 % des vertébrés avec une hausse de 2 °.

Dans un autre ordre d’idées, la hausse de 1,5 ° comparée à 2 ° aboutit à une montée des eaux de 10 cm en moins d’ici à 2100. Cela paraît peu, mais cela permet tout de même, selon le GIEC, à 10 millions de personnes de garder leur lieu d’habitation.

Le rapport pointe surtout l’urgence qu’il y a à agir. Le réchauffement va probablement atteindre 1,5 °C entre 2030 et 2052 s’il continue à augmenter à son niveau actuel, expliquent les scientifiques. « Les trajectoires pour limiter le réchauffement mondial à 1,5 °C avec un dépassement nul ou limité requièrent de rapides et profondes transitions dans les systèmes énergétiques, d’occupation des sols, des villes et des infrastructures, et industriels », selon le rapport. Lequel précise : « Ces transitions systémiques sont sans précédent en termes d’échelle, mais pas nécessairement en termes de vitesse, et impliquent une profonde réduction des émissions dans tous les secteurs, un large éventail d’options d’atténuation et une augmentation significative des investissements dans ces options. »

Pour parvenir à cette hausse limitée à 1,5 ° – qui soit dit en passant signifie des hausses de température de 2, voire 3 ° dans certaines régions du globe –, les émissions de gaz à effet de serre mondiales doivent baisser de 45 % d’ici à 2030 (comparé à 2010), et la part des énergies renouvelables dans l’électricité bondir pour atteindre 70 à 85 % en 2050. 

Les « contributions déterminées au niveau national » (NDC) posées au moment de la COP21 de Paris nous mettent pour l’instant sur une trajectoire de 3 °. Or ces contributions ne sont même pas respectées. En 2017, les émissions au niveau mondial sont ainsi reparties à la hausse, et la tendance pour 2018 devrait être la même. Les dernières prévisions de l’IAE (l’Agence internationale de l’énergie) pour 2018 montrent en effet une tendance à la hausse dans les émissions de gaz à effet de serre liées à l’énergie. Et l’Europe n’est pas meilleure élève que les États-Unis, par exemple.

Cette contradiction, ce schisme de réalité entre les paroles – l’accueil unanimement positif et même optimiste au rapport – et la réalité  – ce que les chefs d’État et de gouvernement vont en faire – ne sera pas une surprise pour les observateurs attentifs des négociations climatiques. Il n’en sera peut-être pas de même pour les citoyens.

Prenons l’exemple de la réaction de Miguel Cañete, commissaire européen à l’action climatique et à l’énergie, et de Carlos Moedas, son homologue à la recherche, la science et l’innovation. Dans un communiqué commun, tous deux se félicitent de ce que « le rapport montre que 1,5 ° est faisable, à condition que nous agissions maintenant et usions de tous les outils dont nous disposons »

Dans la réalité du rapport, dire que 1,5 ° est « faisable » est très exagéré. Roland Séférian, un des auteurs du rapport et par ailleurs ingénieur-chercheur au centre de recherche de Météo-France, soulignait lundi matin que 300 scénarios ont été examinés pour essayer de maintenir le monde à + 1,5 °. Sur ces 300 scénarios, 90 seulement permettent de ne jamais dépasser les 2 ° (les autres passent au-dessus de 2 ° avant que la température ne redescende dans plusieurs dizaines d’années). Et parmi ces 90 scénarios, seulement quatre permettent réellement de rester sous les 1,5 ° pendant ce siècle. Quatre scénarios. Sur 300.

Une autre réalité devrait empêcher de placer trop d’espoir dans ce rapport spécial. Celui-ci explique clairement que pour garder une chance d’une hausse limitée à 1,5 °, il faudrait que le monde atteigne son pic d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020. Dans deux ans donc. 

Or l’alignement des planètes politiques rend hautement improbable un tel scénario. Aux États-Unis, Donald Trump, encore au pouvoir pour deux ans et demi (au moins), compte toujours se retirer de l’accord de Paris. Dans son pays, il a entrepris depuis son élection un travail de sape systématique des mesures favorables au climat des administrations précédentes. À propos de ce rapport, une déclaration publiée après son adoption indique que le feu vert américain « ne doit pas être compris comme une approbation par les États-Unis de tous les résultats et messages clés » du rapport. 

Donald Trump en meeting à South Haven, Mississippi, le 2 octobre. © Reuters

Au sein de l’Union européenne, la coalition bancale en Allemagne, la montée des populismes à l’Est, et même la réalité française, interdisent d’attendre un sursaut ces 24 prochains mois. Le fait que la prochaine COP, la COP24, se tienne en Pologne – gros producteur et consommateur de charbon – ressemble même à un pied de nez.

Autre exemple avec le Brésil, où se trouve la plus grande forêt tropicale du monde. La présidentielle en cours risque fort de déboucher sur l’élection du candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, climatosceptique avéréLa réaction des marchés à sa poussée dans les sondages ne donne guère plus d’espoir de la part de la finance.

Le rapport spécial du GIEC appuie pourtant aussi sur une nécessaire transition dans la finance : cesser de financer l’énergie carbonée (charbon, pétrole, etc.) et investir massivement dans les énergies vertes. Les choses avancent à petits pas. Mais de grandes banques françaises, pour ne parler que de celles-ci, continuent à s’illustrer dans les soutiens aux énergies du passé. 

Une autre question financière n’est d’ailleurs pas encore réglée. Lors de la signature de l’accord de Paris, les pays les plus polluants historiquement (en très grande majorité, donc, les pays occidentaux) s’étaient engagés à investir 100 milliards d’euros par an pour aider les pays les plus pauvres, et donc les moins à même de pouvoir s’adapter. Le but : que ces pays ne se mettent pas à vivre et polluer comme les plus riches au risque d’un plus grand emballement climatique. Les négociations sont là-dessus quasiment au point mort. 

Un vice-président du GIEC cité par Euractiv, Jim Skea, estime que « limiter le réchauffement à 1,5 °C est possible selon les lois de la physique et de la chimie, mais [que]cela demandera des changements sans précédent ». Par syllogisme, un tel changement n’étant pas près d’intervenir, à quoi bon un tel rapport ?

Ceta, Mercosur: l’environnement passera toujours après le commerce

16 JUILLET 2019 PAR ROMARIC GODIN ET CHRISTOPHE GUEUGNEAU

Les députés examinent mercredi l’accord UE-Canada. La majorité LREM soutient l’accord. Mais les arguments avancés – le respect de l’Accord de Paris et l’existence d’un vrai-faux « veto climatique » – masquent mal la réalité : le commerce international sans frein passera toujours avant les politiques climatiques et environnementales.

 « Il y a en France une certaine hystérie anticommerce qui est préoccupante parce qu’un salarié sur cinq travaille dans une entreprise qui exporte. On ne va pas arrêter de commercer au motif que le meilleur moyen de ne pas émettre de gaz à effet de serre, c’est de ne pas avoir d’avions-cargos et de ne pas avoir de bateaux qui traversent l’Atlantique. » En une phrase, lundi 15 juillet, la députée européenne LREM Nathalie Loiseau a résumé une certaine vision de la priorité donnée à l’environnement par l’actuelle majorité dans la question du traité de commerce entre le Canada et l’Union européenne (Ceta).

L’argument est volontairement excessif. Protéger l’environnement supposerait ainsi de mettre fin aux échanges et donc de faire perdre leur emploi à un salarié sur cinq. En réalité, l’objet du Ceta n’est pas d’« arrêter de commercer » avec le Canada, mais précisément de développer les échanges. Or c’est bien ce développement des échanges qui pose problème, à double titre.  

D’abord parce que l’augmentation de la production induite par les échanges contribue à une augmentation des gaz à effet de serre, et d’autre part en raison du développement des échanges. La question environnementale centrale que devraient se poser les députés français auxquels la ratification du Ceta est soumise, mercredi, est donc la suivante : les effets économiques de ce développement des échanges valent-ils le risque environnemental qu’ils induisent ?

Nathalie Loiseau se garde bien d’y répondre, comme avant elle la secrétaire d’État aux affaires européennes Amélie de Montchalin, qui avait martelé, également sur France Inter, que si « l’écologie ça veut dire le nationalisme, le protectionnisme, le repli sur soi, je ne suis pas sûre qu’on soit d’accord ». C’est la reprise d’une forme de chantage intellectuel, selon lequel on aurait le développement du commerce ou une forme de fascisme. 

Mais on est ici d’abord dans la communication plus que dans le vif du sujet. À écouter les membres de la majorité, il faudrait donc ratifier tout traité de commerce de peur d’avoir soit un effondrement des exportations, soit un repli sur soi nationaliste. Dans ce cadre, la discussion risque effectivement d’être rapide.  

L’étude d’impact qui accompagne le projet de loi de ratification du Ceta, réalisée par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), tente davantage de répondre à la question de l’impact environnemental. En faisant tourner un modèle qui prend en compte les effets directs et indirects du Ceta, elle parvient à la conclusion que la production des gaz à effet de serre progressera de 2,88 millions de tonnes d’équivalent de CO2 d’ici à 2035 au niveau mondial, ce qui représente une hausse de moins de 0,01 % par rapport à la référence définie dans le modèle. Le tout pour un gain de 4 dollars constants par habitant dans l’UE (12 pour la France) et 313 dollars constants par habitant au Canada. 

Au passage, ceci ruine immédiatement un des arguments de Nathalie Loiseau, qui prétendait que la France gagnait davantage que le Canada de cet accord en termes économiques. 12 dollars par habitant de plus en quinze ans pour près de 3 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère de plus ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?

L’institut Veblen et la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme (FNH) ont pourtant contesté cette étude d’impact dans un communiqué. D’abord parce que le gouvernement, par la voix de Jean-Baptiste Lemoyne, le secrétaire d’État au commerce, avait promis en novembre 2017 de « fournir au Parlement un document solide, étayé et bien construit et de pouvoir recourir à des experts et à des modèles économétriques pour disposer de toutes les conclusions nécessaires sur la mise en œuvre de l’accord ». Moyennant quoi, on ne dispose que de cette seule étude du Cepii, institut respecté mais qui défend traditionnellement des positions favorables au développement du commerce, fondée sur un seul modèle.

La diversité est donc oubliée, alors même que l’étude se fonde sur l’hypothèse d’un respect des engagements de l’Accord de Paris par le Canada et l’Union européenne. « Le scénario de référence est celui d’un respect de l’Accord de Paris, et le scénario modélisé celui du Ceta, lequel prévoit le respect de l’Accord de Paris », explique Lionel Fontagné, un des rédacteurs de l’étude, dans une réponse écrite adressée à Mediapart. Mais pour Mathilde Dupré, codirectrice de l’institut Veblen, ce scénario « est presque aussi réaliste que de prétendre qu’il n’y aurait pas de dérèglement climatique ».

Le premier ministre canadien Justin Trudeau à Paris en 2015, à l’occasion de la COP21. © Reuters

Brandir l’Accord de Paris (signé en 2015 lors de la COP21) comme une garantie que les accords de libre-échange respecteront l’environnement et le climat n’a pas de sens. D’abord parce que l’Accord de Paris n’est pas contraignant. Les contributions nationales – ce qu’ils s’engagent à faire pour limiter le dérèglement climatique – de chaque pays sont volontaires. 

Certes, les États (ou l’Union européenne) s’engagent à faire une contribution nationale, et à la revoir tous les cinq ans. Certes, l’Accord de Paris prévoit un mécanisme de transparence qui permettra à un comité d’experts internationaux de vérifier les contributions nationales fournies par les pays en termes de suivi de leurs émissions et des progrès accomplis pour les réduire.

Mais il faut se souvenir, par exemple, qu’au moment de la négociation de cet accord, le mot « shall » a été remplacé par le mot « should » à l’article 4.4. Ce qui donne en français : « Les pays développés Parties devraient continuer de montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus à l’échelle de l’économie. Les pays en développement Parties devraient continuer d’accroître leurs efforts d’atténuation, et sont encouragés à passer progressivement à des objectifs de réduction ou de limitation des émissions à l’échelle de l’économie eu égard aux différentes situations nationales. »

Le veto qui n’en était pas un

Le texte même de l’Accord cité aujourd’hui comme une garantie n’en est en fait pas une. Dans son étude d’impact, le Cepii ne s’y trompe pas qui affirme dès le début : « Nous faisons l’hypothèse que l’Union européenne respectera son engagement dans l’Accord de Paris. » Si hypothèse il y a, c’est bien que l’Accord de Paris n’est aucunement contraignant.

« Citer l’Accord de Paris, c’est problématique, explique le porte-parole d’Attac Maxime Combes. On dit on ne négocie pas avec Trump car les États-Unis sont sortis de l’Accord, mais Bolsonaro fait la même politique climatique que Trump. Et on pourrait aussi signer avec l’Australie, qui est dirigée par un climato-sceptique notoire ! »

Et ce d’autant qu’un autre éléphant se cache au milieu de l’accord de 2015 : le transport international, qu’il soit aérien ou maritime, n’est tout simplement pas présent dans le texte, alors qu’il représente environ 5 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales (2,5 % pour le transport maritime, 3 % pour le secteur aérien). En augmentant le commerce entre l’UE et le Canada (Ceta) ou l’UE et les pays d’Amérique du Sud (Mercosur), les transports maritime et aérien vont mécaniquement augmenter, et donc le bilan d’émissions de gaz à effet de serre. Des émissions non prises en compte.

Mais par ailleurs, comme le rappelle Maxime Combes, le texte du Ceta ne cite même pas l’Accord de Paris en tant que tel. Ajoutons que l’argument fréquemment entendu selon lequel l’Accord de Paris ayant été signé après la conclusion de la négociation du Ceta, il n’était pas possible de le mentionner, ne tient guère. D’autres éléments ont été rajoutés au texte après décembre 2015.

Dans le Ceta, l’environnement et le climat ne sont cités qu’aux chapitres 22 et 24, le premier portant sur le « Commerce et développement durable » et le second sur le « Commerce et l’environnement ». Mais ces deux chapitres, souligne Maxime Combes, ne contiennent « aucune disposition qui a une force contraignante aussi forte que les dispositifs d’ouverture des marchés, rien ne contrebalance le droit dur du commerce »

Dans son analyse du Ceta de 2017, l’économiste d’Attac écrit : « Le Ceta contribue ainsi à renforcer la puissance du droit commercial au détriment du droit de l’environnement et de la lutte contre les dérèglements climatiques. Quand il s’agit de droit commercial, une gouvernance forte, avec des tribunaux capables de décréter des sanctions, de remettre en question des décisions nationales, a été mise sur pied. Mais quand il s’agit de l’environnement ou du climat, les conventions et organisations internationales mises en place sont sans pouvoir. »

De fait, l’étude d’impact comme Nathalie Loiseau sur France Inter partent tous du principe que l’équilibre sera atteint grâce aux prix du carbone. D’un côté par le système communautaire d’échanges de quotas d’émission, le « marché du carbone », et de l’autre par des « taxes carbone » lorsque ce système ne fonctionne pas assez. Nathalie Loiseau l’a ainsi martelé : « Le bilan carbone du commerce est préoccupant, avec ou sans taxes [sic ! Elle voulait sans doute dire avec ou sans droits de douane – ndlr]. » Et de préconiser encore des taxes carbone pour compenser. Ce que l’étude du Cepii considère comme fait puisque, dans une note page 31, elle précise que l’effet du Ceta « sur les émissions du transport intérieur à l’UE et au Canada, couvertes par l’Accord de Paris, sont neutralisées au même titre que les variations liées à la production et la consommation des ménages ».

Dès lors, comme le précise Lionel Fontagné : la hausse des émissions causées par le Ceta est due, outre le transport international, aux États-Unis qui vont profiter de leurs relations commerciales avec le Canada et qui sont sortis de l’Accord de Paris et donc n’ont pas obligation de compenser. D’où la conclusion de l’auteur de l’étude d’impact : « Le Ceta n’est donc pas incompatible avec les engagements de l’UE et du Canada en matière climatique. » On n’est cependant pas très loin de la tautologie, puisque l’étude part du principe que l’accord sera respecté.

Mais un tel scénario de compensation ne sera pas aisé à mettre en place dans la réalité, comme le souligne Mathilde Dupré. Elle rappelle les insuffisances notoires du marché du carbone et la difficulté, illustrée par l’exemple des gilets jaunes, d’imposer une taxe carbone. D’autant que les émissions causées par le transport entre les deux zones ne sont pas concernées par l’Accord de Paris. Du reste, cette vision laisse perplexe sur le strict plan économique. 

Nathalie Loiseau prétend qu’il faut signer le Ceta pour développer les emplois exposés aux exportations. Mais la compensation carbone a un effet négatif sur l’activité et donc sur l’emploi. C’est dès lors un tour de passe-passe que propose l’ancienne ministre, sans aucune certitude. L’étude du Cepii estime qu’en quinze ans, le Ceta pourrait faire progresser la masse salariale qualifiée et non qualifiée de respectivement 0,02 % et 0,01 %. Dans les deux cas, il est impossible à l’institut de « dissocier ce qui relève de la création d’emplois ou de la hausse des salaires ». Bref, on n’est sûr de rien. Là encore, c’est prendre des risques pour pas grand-chose et certainement pas pour sauver ou développer des emplois.

Pour parer aux éventuelles critiques, le gouvernement français a également tenté d’amadouer les députés en dégainant un « veto climatique ». Un tel veto reviendrait à rendre impossible pour une entreprise d’attaquer devant l’instance de règlement des différends entre investisseurs et États (ICS, pour Investment court system) un État qui prendrait une mesure en faveur du climat. Le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne a publié l’accord trouvé entre le Canada et l’UE sur ce sujet :

Jean-Baptiste Lemoyne

✔@JBLemoyne

Le CETA rappelle le droit à réguler des États. Pour le rendre opérationnel, la France a porté avec l’UE un texte consacrant le veto climatique  Le Canada y a donné son accord par un écrit officiel.

Sauf que ce texte, ardu, dit précisément le contraire de ce qu’il est censé dire. D’abord, le document présenté n’évoque pas uniquement le climat. Surtout, le texte dit seulement qu’en cas de litige, une instance vérifiera la compatibilité des politiques climatiques avec les règles du commerce international.

Farines animales et perturbateurs endocriniens

« La présentation faite par Lemoyne est un scandale. Ce veto n’est pas un veto », analyse Maxime Combes. Même analyse du côté du député ex-Marcheur Matthieu Orphelin : « Malheureusement, ce n’est donc pas un veto climatique conforme à ce que suggérait la commission Schubert (et à quoi poussait Hulot), qui prévoyait que les États puissent se substituer au tribunal d’arbitrage pour juger la recevabilité de la plainte. Le dispositif envisagé ne le permet pas. »

Derrière les rodomontades de la majorité, il y a donc surtout une idéologie qui est inscrite dans les traités internationaux. Cette idéologie estime que le développement du commerce signifie le développement du bien-être et de l’ouverture culturelle. Et que, dès lors, l’enjeu environnemental ne peut contrarier le commerce. C’est, du reste, cette idéologie qui inspire le fondement du droit international sur le sujet. Ainsi, la convention-cadre des Nations unies adoptée à Rio de Janeiro en 1992 précise que « les mesures prises pour lutter contre le changement climatique » ne sauraient « constituer un moyen d’imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce ». Il y a donc clairement une priorité donnée au commerce, laquelle s’est retrouvée dans l’Accord de Paris de 2016 qui excluait le transport aérien et maritime.

Depuis lors, cette vision s’est un peu élargie autour de deux idées. La première est d’utiliser la politique commerciale comme « instrument d’incitation ». On utiliserait donc les accords commerciaux pour contraindre des pays qui ne respectent pas leurs engagements à le faire. C’est l’idée avancée par Nathalie Loiseau le 15 juillet : le Canada n’est pas « exemplaire », mais le Ceta l’incitera à faire plus. L’argument a été répété avec le Brésil. Le problème reste cependant que, selon la commission Schubert convoquée par le gouvernement sur le Ceta, « les chapitres de l’accord concernant l’environnement ont le mérite d’exister, mais ils ne contiennent aucun engagement contraignant, et ne font que réaffirmer l’attachement des partenaires à l’environnement et au développement durable ». Cette vision ne repose donc que sur une bonne volonté mutuelle ou un rapport de force qui serait favorable à l’Union européenne. Mais puisque le commerce est bon par nature et que l’UE n’est pas non plus « exemplaire » en matière climatique, l’argument semble faible.

Le second argument qui vient appuyer l’idée d’un commerce favorable à l’environnement est celui du « soutien mutuel ». Il s’appuie sur l’idée que le commerce développe le niveau de vie et qu’une fois atteint un certain niveau de vie, la demande se porte vers des biens et services plus respectueux de l’environnement. Globalement, les effets bénéfiques du commerce viendraient modifier la structure de la demande mondiale dans un sens bénéfique à l’environnement. Comme le souligne Maxime Combes, « les bases théoriques et empiriques de cette courbe sont pour le moins fragiles et très discutables ».

En fait, dans son étude sur le Ceta, ce dernier montre que la réalité est inverse : le développement du commerce alimente la hausse des émissions de gaz à effet de serre, certaines évaluations estimant que 20 % des émissions totales de ces gaz s’expliquent par la mondialisation des échanges. L’effet vertueux, lui, n’est pas matérialisé : le changement de structure de la consommation ne saurait intervenir alors même que le commerce vise à proposer des biens moins chers ayant traversé les océans. On ne voit pas de réduction par le commerce d’un mode de consommation insoutenable. Or les gaz émis pour viser une meilleure consommation sont stockés et contribuent à l’augmentation des températures. Autrement dit, cette théorie s’appuie sur un équilibre qui pourrait bien être hautement dangereux pour la planète.

Il n’y a pas que les conséquences du Ceta sur le climat qui pourraient inquiéter les députés français mercredi. Le commerce avec le Canada pourrait en effet aboutir à l’importation en Europe de viande nourrie aux farines animales ou bourrée d’antibiotiques.

Le Monde a révélé lundi que l’accord déjà en vigueur ne devrait pas empêcher l’arrivée de bœufs nourris avec certaines farines animales et dopés avec des antibiotiques, malgré les démentis du gouvernement. « Aucune règle n’interdit aujourd’hui l’arrivée de bœuf canadien “dopé” aux antibiotiques, écrit le quotidien. La France a certes joué des coudes pour imposer une réforme inédite des règles vétérinaires européennes en début d’année, mais cette nouvelle “clause miroir” applicable aux Canadiens n’entrera pas en vigueur avant 2022. Certains craignent même que l’UE fasse marche arrière d’ici là, par crainte de représailles commerciales. »

Des bovins canadiens élevés dans l’Alberta. © Reuters

Une autre inquiétude a surgi ces derniers jours concernant la question des perturbateurs endocriniens. En Europe, certains perturbateurs endocriniens sont totalement interdits pour les produits fabriqués sur place, mais jusqu’ici, il existait une tolérance pour les produits d’importation, un seuil limite à ne pas dépasser. L’UE réfléchit en ce moment même à passer à la « tolérance zéro » pour les produits d’importation.

Mais le Canada semble bien décidé à combattre cette décision. Dans le procès-verbal de la deuxième réunion du comité de gestion mixte (entre le Canada et l’UE) sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, en date du 27 février 2019, le Canada « fait part de ses préoccupations concernant le fondement scientifique et le caractère commercial restrictif de l’interdiction par la France des importations de cerises en provenance de pays qui permettent l’utilisation du diméthoate ».

Surtout, le Canada somme l’UE de « fournir des informations sur les exigences de l’UE en matière de seuils fondés sur les dangers et l’impact sur les tolérances à l’importation ». Pour mémoire, le Canada de Justin Trudeau n’avait pas hésité à l’époque à S’ingérer dans la politique européenne pour combattre l’adoption d’une définition européenne rigoureuse des perturbateurs endocriniens.

Le Canada a également rejoint le Brésil et les États-Unis, le 4 juillet, pour contester devant l’OMC le principe de précaution et la politique européenne de tolérance zéro à l’importation sur les résidus de pesticides qui seraient catalogués comme perturbateurs endocriniens. 46 substances interdites en UE sont autorisées au Canada. 

Dans une lettre aux députés, 72 organisations opposées au Ceta, le plus large arc de force réuni contre un accord commercial en France, rappelle que la Commission nationale consultative des droits de l’homme comme la commission d’experts mandatée par le gouvernement ont « relevé notamment le risque d’une influence accrue des lobbys dans le processus de décision publique et d’utilisation des tribunaux d’arbitrage entre investisseurs et États pour contester les mesures qui ne leur conviendraient pas ». Les députés sont prévenus.

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